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Une crise politique mère de toutes nos crises

(MAJ Avril 2025) – Depuis 2011, (en réalité depuis 2004), la Tunisie traverse une succession de crises majeures qui ont provoqué un effondrement progressif sur plusieurs fronts, réduisant à néant les espoirs suscités par la révolution. Le discours dominant des partis politiques et des élites tend à isoler ces crises, les attribuant à des causes spécifiques telles que la pandémie de Covid-19, le conflit en Ukraine, les tensions énergétiques mondiales, les troubles au Moyen-Orient ou le changement climatique global. Cependant, cette lecture fragmentée et réductrice, qui a pour objectif de diluer les responsabilités (c’est « la faute à la crise »), occulte une réalité bien plus complexe : une crise systémique d’ordre politique constitue le cœur des dysfonctionnements actuels de l’État tunisien. Cette crise politique agit comme un déclencheur et un accélérateur, générant huit crises interdépendantes (institutionnelle, identitaire, économique, sociale, sanitaire, sécuritaire, judiciaire et écologique) qui s’alimentent mutuellement dans un cercle vicieux destructeur.

La crise politique : le « noyau dur » des dysfonctionnements

La crise politique (ou démocratique) tunisienne se caractérise par une absence chronique de compétence capables de remettre en cause le système existant, de vision stratégique claire, de méthode, de leadership fort et d’un projet commun pour la nation. Indépendamment de la perte de démocratie provoquée par l’action du Président Kais Sais, la politique en Tunisie se résume avant tout, à des egos surdimensionnés, une incapacité à l’écoute, à l’absence de travail en profondeur, à un clanisme digne du Moyen Âge et à des barons pour la plupart mafieux qui règnent dans l’ombre, protégés par des institutions à la fois dépassées et aux ordres. Entre 2011 et 2024, la succession de treize gouvernements et près de 400 ministres témoigne d’une fragmentation partisane et de luttes de pouvoir incessantes. Selon un rapport de l’International Crisis Group (2020), cette instabilité a paralysé la prise de décision et bloqué les réformes essentielles, minant la confiance des citoyens dans les institutions et alimentant une désillusion post-révolutionnaire.

Depuis 2011, cette crise politique est la racine première qui engendre et aggrave toutes les autres crises systémiques. La perte de démocratie n’en est qu’une extension, révélant encore davantage les failles d’une classe politique incapable dans son ensemble, d’assumer pleinement ses responsabilités face à la nation et ses citoyens.

Les huit crises interdépendantes découlant de la crise politique

La crise politique a donné naissance à huit crises majeures, chacune amplifiée par son interdépendance avec les autres.

1. Crise institutionnelle :

L’instabilité politique depuis 2011 a affaibli les institutions publiques au sens large, comme en témoigne le retard dans la mise en place de la Cour constitutionnelle, pourtant prévue par la Constitution de 2014 mais bloquée pendant des années par des conflits partisans. Lors des événements du 25 juillet 2021, où le président Kaïs Saïed a suspendu le parlement, seulement 83 % des lois adoptées depuis la révolution avaient fait l’objet d’un décret d’application. En 2023, les lois de finances totalisaient environ 2 600 mesures, dont moins de 8 % étaient réellement appliquées. Depuis la révolution, ces institutions n’ont servi à RIEN d’utile et de concret pour le peuple; leur seule réussite mesurable a été de protéger le système en place, ses monopoles, ses cartels et ses lobbies. Malgré les promesses du régime actuel, cette faiblesse institutionnelle persiste et aggrave en conséquence l’incertitude juridique, fragilise l’État de droit et alimente encore davantage la crise politique initiale, symptôme évident d’un dysfonctionnement profondément systémique.

2. Crise identitaire

Les divisions autour de l’identité tunisienne, entre visions laïques et islamistes, modernistes et conservatrices, centralisme, régionalisme et tribalisme, mondialistes et souverainistes, riches et pauvres ont été exacerbées par cette polarisation politique. Ces tensions détournent l’attention des priorités socio-économiques, creusant un fossé dans la société et renforçant la perte de cohésion sociale, ce qui aggrave encore plus l’instabilité politique. En 2021, plus de 70 % des enfants de 10 ans déclaraient déjà envisager leur avenir hors de Tunisie, s’identifiant à des référents culturels et identitaires de plus en plus détachés de notre matrice civilisationnelle et de notre histoire de pensée. Nos enfants ne rêvent plus de la Tunisie, ni de héros tunisiens à l’exception notable d’Ons Jabeur ou de quelques artistes de rap.

3. Crise économique

L’absence de vision politique cohérente a entravé la redéfinition d’un modèle productif devenu obsolète, freinant ainsi les investissements durables et le développement du tissu entrepreneurial. Le taux de chômage, qui atteignait 18 % en 2021, a légèrement diminué pour se stabiliser à 16 % au troisième trimestre 2024, avec un taux alarmant de 41 % chez les jeunes de 15 à 24 ans (ins.tn). Parallèlement, la dette publique a considérablement augmenté, passant de 40 % du PIB en 2010 à près de 90 % en 2022, et la part de la dette intérieure est passée de 29,7 % en 2019 à 51,7 % en août 2024 (worldbank.org).​ En 2024, la croissance économique reste atone, avec une progression de seulement 1,8 % au troisième trimestre, principalement portée par le secteur agricole. Ce marasme économique limite les investissements dans des secteurs clés tels que la santé et l’éducation, exacerbant ainsi les crises sanitaire, sociale et identitaire.

4. Crise sociale

La détérioration des conditions de vie a suscité un mécontentement croissant, visible dans les manifestations de 2018 contre la loi de finances et celles de 2021 contre l’austérité. Ces mouvements traduisent une frustration face à l’inaction politique, accentuant l’instabilité politique. Depuis 2011, un million et demi de personnes ont quitté les régions, vidant les territoires. Si ce rythme se poursuit, 70 % de notre territoire sera vide de toute présence humaine d’ici 2030.

5. Crise sanitaire

La gestion désordonnée de la pandémie de Covid-19 a mis en lumière les failles d’un système de santé déjà affaibli par des années de sous-investissement public et exploité au profit d’intérêts privés (les cliniques). Les querelles politiques ont retardé la mise en œuvre de mesures pertinentes, faisant de la Tunisie l’un des pays africains les plus touchés par la mortalité liée au virus (OMS, 2021). Aujourd’hui, en 2024, les chiffres sont encore plus alarmants : 58 % de la population n’a pas accès à des soins de base, plus de 10 % souffrent de troubles psychologiques graves, et 78 % considèrent normal de vivre avec une douleur. Dans l’indifférence des pouvoirs publics, les trois quarts de la population sont en surpoids, les chiffres sur le tabagisme, l’alcool ou la drogue sont désastreux, et la Tunisie dépasse les 16 000 décès par cancers par an. Cette crise sanitaire généralisée et continue depuis 2011, amplifie les fractures sociales et économiques, renforçant la défiance envers les institutions.

6.Crise sécuritaire

La faiblesse institutionnelle a créé des brèches exploitées par des groupes terroristes, comme lors des attentats du Bardo et de Sousse (2015). La porosité des frontières avec la Libye, soulignée par un rapport de l’ONU (2019), a facilité l’infiltration d’armes et de combattants. Les crises sociale et économique ont fait basculer dans la délinquance des classes entières de nos jeunes. En 2019, il y a eu 200 000 crimes et délits, dont 73 % commis par des jeunes de 15 à 19 ans (Source : ministère de l’intérieur). Entre risque terroriste persistant et délinquance généralisée, cette insécurité a eu un impact direct sur l’économie, avec une chute du tourisme et des investissements étrangers, formant une boucle rétroactive avec les crises économique et sociale.

7. Crise judiciaire

La politisation de la justice, illustrée par des affaires majeures non résolues, l’arrestation d’opposants ou de journalistes, ainsi que la corruption généralisée et la contrebande toujours en vigueur, a érodé l’État de droit et la confiance citoyenne. Ce climat mêlant impunité pour les uns et sanctions disproportionnées  pour les autres décourage les investissements et bloque les réformes, alimentant l’instabilité politique, sociale, et économique dans un cercle vicieux.

8. Crise écologique

L’absence de politiques environnementales cohérentes a aggravé les défis climatiques : pénuries d’eau, dégradation des sols, avancée du désert menaçant 80 % du territoire (FAO, 2020), et élévation du niveau de la mer endommageant les infrastructures côtières. Le coût économique de ces catastrophes, estimé à environ 10 % du PIB, amplifie les crises économiques et sociales. En 2023, la Banque mondiale estime que les pertes liées au changement climatique pourraient atteindre 12 % du PIB d’ici 2030 si aucune action n’est prise.

Une interdépendance systémique :

Ces crises ne sont pas des phénomènes isolés ; elles forment un système complexe où chacune alimente les autres :

  • La crise politique engendre les crises institutionnelles (justice, instances démocratiques, partis politiques, représentativité, éducation) et économique (chômage, pauvreté), qui intensifie la crise sociale (protestations), laquelle aggrave à son tour la crise politique (instabilité).
  • La crise sécuritaire profite des failles institutionnelles (crise institutionnelle) et des frustrations socio-économiques (crise économique), alimentant l’extrémisme, la délinquance, la contrebande et la corruption.
  • La crise sanitaire, au sens large (obésité, tabagisme, cancers, accès aux soins, délabrement des infrastructures, etc.), dont l’impact réel est largement sous-estimé, crée un désastre social, accroît l’immigration clandestine et a un effet économique sans précédent. Elle accentue davantage la perte de confiance dans les institutions et nourrit ainsi la crise politique.
  • La crise écologique, avec ses répercussions économiques croissantes, renforce les vulnérabilités sociales et économiques, créant une nouvelle boucle rétroactive.

Cette dynamique systémique montre qu’une approche fragmentée, à l’instar de celle des proposée par certaines « élites » dépassées qui attribuent chaque crise à des causes externes, n’a aucun sens. À l’image des travaux d’Edgar Morin sur les systèmes complexes ou des théories de résilience du Stockholm Resilience Centre, une approche systémique intégrée est indispensable pour s’attaquer aux causes profondes plutôt qu’aux seuls symptômes.

Résoudre la crise politique pour briser le cycle

La Tunisie ne peut surmonter ces défis en traitant chaque crise de manière isolée. Ces phénomènes forment un système interconnecté dont la crise politique constitue le principal catalyseur. Tant que cette crise fondamentale ne sera pas résolue, par le biais d’une refonte démocratique et inclusive de nos institutions, d’une vision stratégique claire, d’un leadership fort et d’un projet commun, les huit crises qu’elle alimente continueront de perdurer et de s’autoalimenter.

Ainsi les sciences démontrent que seule une approche holistique, comme celle proposée par INTILAQ 2050, inspirée des théories systémiques, s’impose pour rétablir la stabilité et concrétiser les aspirations nées de la révolution de 2011.

Références

  • Banque mondiale. (2022). Tunisia Economic Monitor. Washington, DC.
  • Banque mondiale. (2023). Economic Outlook: Tunisia. Washington, DC.
  • FAO. (2020). State of the World’s Forests. Rome.
  • Institut National de la Statistique (INS). (2021). Rapport sur l’emploi. Tunis.
  • Institut National de la Statistique (INS). (2023). Indicateurs économiques. Tunis.
  • International Crisis Group. (2020). Tunisia: A Reform Agenda for Stability. Bruxelles.
  • Morin, E. (1977). La Méthode : La Nature de la Nature. Paris : Seuil.
  • OMS. (2021). COVID-19 in Tunisia: Situation Report. Genève.
  • ONU. (2019). Rapport sur la sécurité en Afrique du Nord. New York.
  • Stockholm Resilience Centre. (2015). Resilience Thinking. Stockholm.

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