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Le dessous du réel – Chronique d’une transformation impossible

Ce texte est un point de départ.
Il est issu de l’introduction de notre proposition de nouveau modèle de gouvernance de la nation. Car pour comprendre ce changement radical dans la manière de gouverner l’État, il faut d’abord regarder en face une réalité dont personne ne parle ou que tout le monde préfère ignorer.

Avant les réformes, avant les plans, avant les slogans et le marketing politique : il y a le réel.
Et ce réel-là, s’il n’est pas compris, stabilisé, intégré, aucun projet ne pourra aller jusqu’au bout comme c’est le cas aujourd’hui, et depuis plus de 30 ans.

Imaginez que vous avez gagné au loto.

Vous disposez de plusieurs centaines de millions de dinars, et vous décidez d’acheter une grande entreprise tunisienne pour la transformer et en faire un leader de son secteur !

Notre système productif étant figé dans le marbre, vous avez 93 % de chances que cette entreprise existe depuis plus de 30 ans et cumule l’ensemble des dysfonctionnements habituels sans exception et encore 95 % de chances que cette entreprise n’ait jamais eu de plan de transformation global de toute son existence. Pire, vous êtes à peu près certain qu’aucun projet réellement structurant n’aura eu lieu ces 10 dernières années, hormis l’habituel digital washing : c’est à dire, refaire un site internet souvent bas de gamme, pour faire semblant d’être digital.

Vous arrivez le jour J pour prendre les commandes. Vous avez avec vous les meilleurs consultants disponibles, un catalogue produit moderne déjà défini, un modèle organisationnel normalisé, et vous avez déjà choisi le meilleur système informatique (ERP) à mettre en place. Vous avez l’argent pour acheter un serveur informatique tout neuf et toutes les machines qui vont avec. Vous avez même dans vos bagages un nouveau PDG et deux ou trois hauts cadres de confiance, prêts à vous suivre dans l’aventure !

Nous sommes lundi matin, 10h, dans la salle du conseil d’administration.

Vous avez devant vous les 30 à 50 directeurs centraux habituels qui peuplent (ou qui squattent selon les cas) nos entreprises. Et vous leur dites avec enthousiasme : « C’est parti, on transforme ! »

(Tous les chiffres qui suivent proviennent d’une étude réalisée par un cabinet américain au Maghreb, concernant les échecs de transformation d’entreprises publiques ou privées (Égypte incluse). Votre serviteur, qui écrit ces lignes, a dirigé cette étude.)

Concrètement, comment cela se passe ?

Votre équipe de transformation va faire ce que l’on appelle une image instantanée de l’entreprise. Vos consultants vont inonder toutes les directions de mails et de réunions interminables pour récupérer un maximum d’informations : les schémas comptables, le plan comptable, les documents censés décrire parfaitement les processus, le modèle organisationnel, les fiches de poste, les datas, la description produit, etc.  Des milliers de documents, de fichiers, de rapports en tout genre !

Une fois ce corpus récupéré, toute l’équipe va s’enfermer pour « écrire la transformation », c’est-à-dire le plan d’évolution pour passer des anciens produits vers les nouveaux, des anciens processus vers les nouveaux, de l’ancien plan comptable vers le nouveau.

Et surtout : 80 % de l’effort va partir dans le paramétrage du nouveau système informatique, fraîchement installé sur votre serveur à 2 millions de dinars. Cette opération prendra minimum un an et demi si vous avez pris un cabinet de pointe, et prendra entre deux ou trois ans si vous décidez de faire cela vous-même.

Le grand jour arrive. Vous allez déployer le système (ou simuler le déploiement, si vous êtes un vrai pro). Que va-t-il se passer ?

Au Maghreb (Égypte incluse), dans 78 % des cas, vous allez provoquer un tsunami interne à l’entreprise ! Dans la majorité des cas, vous allez provoquer un échec industriel majeur, comme sait si bien le faire notre nation depuis plus de 30 ans : une catastrophe financière, organisationnelle, structurelle, humaine, technologique, qui dans 20 à 30 % des cas aboutira à la disparition de l’entreprise (rachat, démantèlement ou faillite).

Pourquoi ?

Parce que vous avez pris une photo de l’entreprise il y a plus de deux ans. Et vous êtes à peu près certain que, dès le départ, cette photo était totalement inexacte.

L’ensemble des documents qu’on vous a transmis n’a strictement aucune chance d’être à jour. Pendant ces deux ans, vous êtes à peu près certain que plus de 100 à 150 projets en tout genre ont été réalisés. La loi de finances aura changé le modèle comptable. Le marketing aura lancé de nouveaux produits et des nouvelles offres incluant des nouvelles tarifications et donc des évolution comptables. L’équipe informatique aura largement modifié le système existant pour corriger des bugs ou finaliser des évolutions déjà en cours lorsque vous avez racheté l’entreprise. Le modèle organisationnel, lui, aura changé quasiment tous les six mois sans être formalisé évidemment.

Les datas ne sont pas fiables. Il n’y a aucun outil de reporting. Les méthodes de gestion de projets massifs ne sont pas en place. Il n’y a aucun outil de gestion du processus de décision, de gestion des risques ou des alertes. Il n’y a aucun outil de collaboration pour la transformation.

Les directeurs centraux ?

Ils travaillent déjà jour et nuit et n’ont quasiment jamais été impliqués par vos équipes de transformation !

Et les prestataires ?

Pour être sûrs de gagner l’appel d’offres, vos prestataires ont cassé leurs prix. Résultat : Leurs consultants sortent pour la plupart de l’école et n’ont jamais fait de transformation. Quant à l’éditeur du système informatique : tout son business model est basé sur les retards du projet, qui vont lui permettre de doubler, voire tripler son chiffre d’affaires comme cela a été le cas dans plusieurs banques, assurances ou télécoms en Tunisie mais aussi dans toute l’Afrique.

L’équipe informatique existante ?

Ils ont en moyenne 45 ans, tous bac+5 ou certains sont même PhD. Ils ont pour la plupart commencé leur carrière dans cette entreprise. Ils auront dû affronter seuls, et quasiment sans moyens, toutes les révolutions technologiques : transformation des réseaux, des serveurs, des postes de travail, arrivée d’internet, du smartphone, les évolutions des lois, des produits, des services, un management désordonné, des directions générales qui changent tous les deux ans et des stratégies qui changent tous les six mois.
Ils sont mal payés, ils n’ont quasiment aucune prime. Ils paient eux-mêmes leurs formations et leurs certifications.

Et là, vos consultants, issus des Big 4 ou des grands cabinets de consulting, débarquent, accompagnés des consultants de l’éditeur, et passent leur temps à expliquer que le système existant est tout simplement… pourri. (C’est le mot exact que l’on a lu dans un rapport, nous avons aussi lu dans un mail à la nouvelle direction générale « Toute cette entreprise, salariés compris est une poubelle, vous avez acheté la pire des poubelles ».). C’est la stratégie classique des cabinets y compris tunisiens pour « couvrir ses arrières » : tout est nul, donc si la transformation échoue, ce n’est pas notre faute.

Mais ce système « pourri », c’est justement eux qui l’ont construit, année après année. Les équipes informatiques en Tunisie sont les stars de l’entreprise. Ils ont un accès direct à la direction générale, participent aux réunions stratégiques, sont sollicités par les métiers, les agences, les prestataires, et même parfois… les clients. Tout le monde a leur numéro perso. On les appelle en urgence, la nuit, le week-end, pendant leurs vacances. Ils répondent. Toujours.

Et leur système ? Il fonctionne. Oui, il est vieux. Oui, il est moche. Oui, il a des lenteurs, des bugs, des failles. Mais il fonctionne.  Il couvre 100 % des cas d’usage, y compris les exceptions, les contournements, les montages tordus inventés par les directions métier pour faire tenir debout des offres bancales.

Et après 20 ou 30 ans à tenir à bout de bras toute l’entreprise et son système d’information, votre équipe de transformation qui a moins de 30 ans en moyenne va leur expliquer qu’ils sont nuls, incompétents, stupides, qu’ils n’auraient jamais dû produire un tel système !!!!  Certains consultants proposeront même de les virer en même temps que leurs applications.

Et maintenant, posez-vous une vraie question :

Avec ce niveau d’arrogance, avec ce type de méthode et avec ce type de gouvernance, vous pensez vraiment que ces équipes IT, métier, organisation, comptabilité, logistique, technique, ou production vont vous prévenir des déphasages entre l’image prise il y a deux ans et la réalité d’aujourd’hui ?
Vous attendez d’eux un reporting objectif, une collaboration active, un appui franc au déploiement de votre transformation ? Sérieusement ?

Et les ministères ou les instances publiques ?

Ce texte concernant les équipes informatiques, nous aurions pu le faire pour les services administratifs, la comptabilité, la logistique ou pour n’importe quel service technique ! ils ont tous en leurs seins un noyau dur de personnes surimpliquées sans qui rien de fonctionne.

Vous l’avez compris, ce constat s’applique aussi à toutes les fonctions de l’État. Dans chaque ministère, dans chaque entreprise publique, dans chaque instance, vous aurez des personnes qui se sont impliquées toute leur vie pour leur métier. Ils sont surdiplômés, maîtrisent leurs secteurs, connaissent tout de la nation et de ses défis.

Et dans chaque discours politique, dans chaque étude, dans chaque rapport, dans la presse, dans les médias, dans les cafés, et dans les livres de pseudo intellectuels, ils entendent qu’ils sont tous corrompus, incompétents, et qu’ils cumulent tous les vices.

Oui, il y a de la corruption.  Oui, les procédures sont kafkaïennes et soviétiques.
Oui, il y a une désorganisation générale. Et si vous n’avez jamais mis les pieds dans une administration tunisienne, dites-vous que c’est pire que tout ce que vous pouvez imaginer.

Nous sommes les premiers à le dire ! Mais qu’auriez-vous fait à leur place ?

Mal payés, jamais écoutés, sous-évalués, voire rabaissés.  Ils ont avant tout perdu tout espoir et n’ont en tête que l’avenir de leurs enfants et la crainte de perdre leur emploi.

L’un de nos plus hauts fonctionnaires vient de partir à la retraite. À notre question sur le bilan d’une carrière pourtant exceptionnelle, il a répondu :

« 40 ans de frustration, 40 ans de déception, 40 ans sans pouvoir trouver un seul de nos dirigeants capables de se poser avec nous, de compter sur nous pour renverser la table et construire la nation dont nous rêvons tous. C’est un échec. Je veux oublier 40 ans de ma vie et ne plus y penser. »

À la question de participer à nos travaux ? Sa réponse : « Oubliez-moi. »

(Il nous aura néanmoins consacré un nombre d’heures incalculable pendant six mois, pour nous transmettre son savoir et ses idées. Une partie de notre modèle de gouvernance a été corrigé par ce grand monsieur.
Nous le saluons avec respect, et lui adressons nos remerciements les plus sincères.)

La question pour finir est donc :

Qu’auriez-vous fait à leur place ? Qu’auriez-vous fait ?

Et nous, qu’aurions-nous fait ?

Notre proposition de gouvernance répond en détail à cette question. (Synthèse dans l’article suivant et PDF à télécharger) 
Elle ne propose pas une réforme de plus, mais une refondation lucide et structurée de l’État, pensée depuis ce réel dont personne ne parle !

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